dimanche 9 octobre 2016

Massive Attack - 100th Window

2003 > Trip hop/Ambient/Orage acide


C'est un peu comme si on était en apesanteur, à mi-chemin entre ciel et terre, mais comme écartelé entre les deux, 2 murs épais au dessus et en dessous de la tête, sans issue possible pour en sortir. Plus qu'écartelé, le mot juste serait peut-être éclaté. Comme un ascenseur coincé entre 2 étages. Et au dehors, si tenté qu'il y ait un au-dehors, des engins metalliques hétéroclites, des fils de fer froids et taiseux, des oiseaux mécaniques qui perdent toutes leurs fausses ailes blanches en essayant de trouver la sortie, batifolant, se percutant par pur instinct de survie, se bouffant la tête, les yeux, aveuglés par un éclair de lumière traversant ce brouillard qui recouvre tout. Coincé entre Mezzanine et Heligoland, - inexact car il y aussi la BO de Danny The Dog, je vous l'accorde, que je suis en train de me faire d'ailleurs - 100th Window, peut-être l'album le plus ambigu et compliqué à cerner de la carrière de Massive Attack, a tout du malentendu, vestige des dissenssions dans lequel il a été engendré: Del Naja n'étant plus que le seul membre originel présent sur les 3 après que Vowles soit parti peu de temps après Mezzanine et que Marshall ait refusé de participer à l'élaboration de ce disque. La musique du groupe de Bristol avait toujours flirté avec l'ambient et une certaine forme de froideur mais elle n'avait jamais été aussi loin dans cet aspect jusqu'à maintenant et dissoudre presque entièrement son trip hop dans un mélange électronique/ambient assez minimal à l'ambiance délétère qui transparaît jusque dans sa pochette, grise et impersonnelle, dans son titre énigmatique et dans sa durée imposante. 100th Window c'est comme un parpaing qu'on aurait déposé dans un congélateur, un bloc de glace irradié et réchauffé par Sinéad O'Connor qui transforme tous ses titres en moments immortels (What Your Soul Sings, A Prayer For England). Et entre ces titres, d'autres pistes mémorables: Future Proof et son passage central proprement halluciné, Everywhen, l'éclaircie après la tempête et sa fin que l'on croit menaçante mais dont il s'avère au final qu'il n'en est rien et puis l'orientalisant Antistar - ce titre, sérieux ! - qui se prolonge sur 19 interminables minutes de divagations et tribulations électroniques, minimales, statiques et tétanisantes, tout droit héritées de This Heat et de son Testcard et derniers vestiges d'une guerre civile synthétique urbaine.    

Autechre - Tri Repetae

1995 > Electro/Avant-garde/IDM/Carnage synthétique


Les tapis prennent soudain une coloration ocre. Lentement, les pigments se diffusent au coeur du tissu qui voit son bleu originel se foncer de plus en plus. L'homme d'affaires, comme dans un rêve ou un cliché éculé a l'impression de se trouver dans ce bureau depuis des siècles ou des années lumière. Il n'a même pas entendu l'autre s'abîmer dans un bruit sourd. Il cligne des yeux. Tourne la tête en direction du gratte-ciel voisin. Non, tout est aussi tranquille que lorsqu'il est entré. Pas de lumière ou d'âme qui vive. Tout comme dans la rue en contrebas, déserte et rassurante, dont le silence n'est à peine troublé par les quelques gouttes de pluie qui battent les pavés. Il peut apercevoir sa voiture, parquée entre 2 arbres.
Clé sur le contact, serviette sur le siège passager dévoilant certains documents importants, c'était un vendredi soir qui s'annonçait conforme à ceux que notre hommes d'affaires apprécie. Il s'imaginait dans son fumoir, un bon whisky sur la table à proximité de sa main, non loin d'un exemplaire de Double Assassinat Dans la Rue Morgue d'Edgar Allan Poe, les pieds réchauffés par un excellent feu de cheminée et assis dans son confortable fauteuil. Il s'y voyait déjà comme dirait un célèbre chanteur. L'orage guette. Un éclair le tire de ses songes. Quelques gouttes s'écrasent sur le pare-brise. L'homme d'affaires est seul dans sa voiture.
Il est seul au milieu du trottoir qui mène au bâtiment où il travaille. Seul dans l'immense hall d'entrée de ce même bâtiment. Un siège vide se dessine derrière les écrans de contrôle. "Away for business". Le gardien a dû aller fumer une clope sur le toit ou peut-être est-il mort d'un accident vasculaire-cérébral dans les toilettes, gisant à présent sur le trône le visage paralysé et n'ayant plus grand-chose d'humain, qui sait ? Une ambiance de carnage synthétique se dégage de tout cela. Notre homme ne presse même pas le pas. Il se contente de furtivité et se dirige vers l'ascenseur. Si encore il était là pour tringler sa secrétaire à l'abri derrière une imprimante... Mais ce n'était pas le cas. En jetant à nouveau un oeil au poste de contrôle, il se dit qu'on doit se prendre pour un putain de Dieu derrière toutes ces caméras. Ou au moins pour Batman. Ca suintait par tous les pores, ce silence, l'ascenseur s'y mettait aussi, lui qui descendait les étages puis entrebaîllait ses portes en usant de tous les subterfuges possibles pour ne pas faire de bruit. 12° étage. Grand frisson.
Des bureaux abandonnés à perte de vue. Comme un océan. Notre homme déambule au détour des plantes de plastique, des barrières de verre et des machines à café désertées. Des gobelets vides se mettent parfois en évidence, en même temps que d'anonymes calendriers tentent de rester à la page. Mais tout cela fait dans le terne. On pourrait prétendre à la crise cardiaque en s'imaginant un des sièges non vides et fixant démentiellement l'écran gris face à lui mais non. Tous ces fauteuils, devant ces feuilles, ces dossiers, ces stylos, sont vacants, presque absents eux aussi. On aperçoit parfois des posters, sur les parois de ces cubes. Il faut bien essayer de poser sa marque sur ces mondes impersonnels. Il y repense, à sa secrétaire. Il serait bien mieux avec elle, essayant de repeindre en couleur ce monde gris plutôt qu'avec tous ces fantômes essayant de briser leurs chaînes. Il reconnaît son bureau, à l'horizon. 
Son pas se presse. Se stresse. Il veut en finir au plus vite. Il pousse la porte, se dirige droit vers son objectif, sans fioritures. Le dossier trône toujours fièrement à côté de son PC. Il s'apprête à le saisir quand un léger bruit dans son dos l'interrompt. Une goutte de sueur perle sur sa tempe. Face à la fenêtre, il aperçoit soudain la pleine lune. Je ne dormirai pas bien ce soir, se dit-il. Il se retourne. Le dossier, dont l'équilibre était devenu précaire, tombe sur le sol. Sur sa couverture, on peut lire ces 2 mots, énigmatiques, comme tirés d'un vieux manuel latin d'écolier: Tri Repetae.