mercredi 30 août 2017

Drive Like Jehu - S/T

1991 > Hardcore/Post-hardcore/Emocore/Math rock


Drive Like Jehu ou l'histoire d'un groupe qui n'est pas resté très longtemps dans le circuit mais cependant assez pour laisser dans son sillage et ses 2 albums une épaisse fumée noire et une forte odeur de soufre. Une odeur présente dès les premières notes du titre d'ouverture de leur jet initial, Caress, sorte de Black Flag à la sauce hardcore et à la voix un peu éloignée. Dans ce premier disque, DLJ présente des morceaux purement hardcore et ainsi courts de facto (l'immédiat et imparable tube Spikes To You, Atom Jack) et d'autres (la plupart en fait) plus construits et alambiqués comme O'Pencil Sharp, culminant à 9 minutes et qui se permet d'aller titiller Sonic Youth et autres no-waviens en herbe sur ses début et fin bruitiste, rappelant furieusement Mote ou certaines parties de The Diamond Sea. Ambivalente, la créature de Rick Froberg, excellent aux vocaux entre cris stridents ou chant clair monocorde juvénile - proche en cela des vocalistes de Deep Wound ou des Descendents - distille une musique dense et nerveuse mais également d'une mélodicité remarquable et redoutable (le refrain de Step On Chameleon, par ailleurs peu intéressant à cause de la présence de cette seconde voix agaçante, le bass-driven If It Kills You, quasi-single potentiel si ce n'étaient ses 7 minutes) et traversée d'arabesques guitaristiques comme le solo d'If It Kills You (encore !), le début et la fin de Good Luck In Jail ou le break aux larsens de l'immense Turn It Off
Avec ce premier skeud, Drive Like Jehu s'affirme et rentre d'ores et déjà au panthéon des groupes de post-hardcore les plus doués et incisifs de leur génération et se permet de faire passer Fugazi pour un gentil animal de compagnie. DLJ ou une des incarnations les plus véritables et fidèles du terme abrasif. 

lundi 17 avril 2017

Dälek - Untitled

    2005 > Indus/Experimental hip hop


Cela commence par une pulsation électronique. On se croirait presque transporté en 1968 lorsque Pink Floyd exaltait sa recherche d’ambiance dans Saucerful Of Secrets. Ici tout est affaire d’alternance. D’abstraction. De symétricité. La rue est bel et bien là mais sous une autre forme. On ne la distingue plus derrière tout ce rideau de fumée, derrière ces gravas, derrière toute cette désolation. On doit se réinventer, redéfinir tout ces concepts que l’on croyait innés. Inhérents. « Kept isolated… ». MC Dälek ne s’est pas absenté. Mais il gère ces interventions. Car oui, il y a du hip hop ici aussi mais il n’a jamais été aussi difficile à cerner. Cerné par ce vide, ces nappes de bruit, ces effusions industrielles, ces machines qui ne dorment jamais. Une guitare acoustique fait son apparition. On passe de 1968 à 1994 comme un brutal voyage dans le temps pour se retrouver sur Cluster One, toujours avec le même groupe (Pink Floyd) mais avec des gens différents. « I feel too old. ». Ca fatigue. C’est exigeant. « Have we spend too much time on knees that we forgot how to walk? ». On se trouve très proche du vide – voire du void – mais on se tient à bonne distance pour ne pas se faire aspirer. On est tout en contrôle. A la limite de la désintégration comme ces atomes qui n’ont rien demandé à personne et qui se font exploser la tronche sans raison aucune apparente. « We choose what nightmare to forget, what lies to remember. It's quite easy to forget who you are ». L’oubli. Il est central. MC Dälek se tait. On repart en 1971 cette fois, avec les corbeaux et leur Echos. Le vent se met à souffler, la tempête se lève. Tout se déforme. Souterrain et aérien à la fois. « To being human ». On en doute. Une guitare électrique endosse le rôle de l’orage et du tonnerre. « Kept isolated ». Le couplet revient mais sans être là. Absence. Distorted prose. Ou simplement chuchotée. Une tabla fait son apparition. La recette a déjà été éprouvée, on la rapplique. Juxtaposition de moments calmes et violents, faibles et forts. Une accalmie au piano. Puis une agression à coup de guitare électrique et de batterie pour le moment pour le plus intense qui rappelle presque Sonic Youth. Le rap devient instrument d’épouvante. Le noir et le sombre nous enveloppent. Le thème du début s’en revient. Et ce pour les 12 dernières minutes. Une fin magnifiquement impersonnelle, déstabilisante, maussade. Mais surtout terriblement vide, laissant la part belle à l’imagination et frustrant ceux qui attendent quelque chose au bout de ce couloir. Un quelque chose qui finit par arriver, un banjo qui fait claquer ces cordes dans un ultime moment de vie, et ces dernières lignes de texte comme une apostrophe à Dieu. Un reproche. Un aveu de faiblesse. Une incommunicabilité. Presque une négation pure. « If I believed in you, I would only clasp these hands in an attempt to choke you. Provoked to speak in strict silence. Why mince our words when we both prefer violence ? ». Bien sûr que l’on préfère la violence. Mon silence parle pour moi. Y a de l’Antistar là-dedans. Voire du Testcard. Ici tout est affaire d’ambiance. De violence. Et de silences qui en disent long. 45 minutes sans titre. Mais sûrement pas sans intérêt.

Mgła - Exercises In Futility

2015 > Black metal/Délégation d'émotions


Un mauvais album de Mgła, ça n'existe pas. Du moins pour l'instant. J'en suis sûr à présent. J'avais tout de même quelques réserves quand j'ai envoyé pour la première fois le morceau Exercises In Futility deuxième du nom sur mon téléphone, fin Août, premier titre à filtrer - ou plutôt suppurer - de ce nouvel album, à l'intitulé déjà très évocateur et excitant en soi, au moins autant que le précédent du combo polonais, With Hearts Toward None. Un talent certain pour le choix des titres d'album donc, en même temps qu'un bon goût pour les pochettes. Mettez-les toutes côte-à-côte et vous tenez votre prochaine tapisserie, que votre fils soit gothique ou non. Noires, blanches, avec 50 nuances de gris, la dernière ne dérogeant pas à la règle puisqu'elle nous présente cet homme au corps presque nu - il n'est vêtu que d'un pagne - et décharné, que l'on croirait possédé, cherchant de ses bras crispés la sortie ou la lumière dans cette forêt qui le cerne, que ses yeux ne lui permettent apparemment pas de trouver au vu de sa posture pour le moins étrange. Un peu moins d'aisance dans le choix des singles pour le groupe par contre - un concept toujours un peu empreint d'une certaine ironie dans le petit monde spécial du black metal - puisqu'au final, il s'avère que ce II est le titre qui empêche cet album d'accéder au rang de chef d'oeuvre incontestable et immortel. Une piste qui n'est pas foncièrement mauvaise, son intro étant même assez énorme avec cette superposition de 2 riffs hallucinants accompagnant la première ligne de texte pour le moins classe et annonciatrice: "There is a style in total denial". Mais passé cela, le morceau stagne dans ses acquis, tournant en rond pendant 5 bonnes minutes et ne nous proposant plus grand-chose, jusqu'au retour salvateur du thème d'ouverture encadré par une partie mid-tempo qui constituera la conclusion du morceau. Un morceau qui peine ainsi à convaincre totalement et à se montrer consistant tout au long de ses 8 minutes, chose qui sera pourtant réalisée assez facilement pour les 5 autres titres, et ce via une recette traditionnelle qui a déjà fait ses preuves dans les enregistrements précédents du groupe polonais: une collection de riffs meurtriers à n'en plus savoir qu'en faire - dont on peut assimiler certains à de véritables coups de griffe, à l'image de celui présent sur le L du nom du groupe -, des vocaux excellents et rauques, un batteur qui s'affirme à chaque disque davantage, ne se contentant pas de blaster fébrilement pour blaster, mais affichant une palette plutôt intéressante pour le poste (notamment dans l'utilisation des cymbales), et enfin une ambiance noire et pesante, misanthropique, apocalyptique, qui laminera votre esprit et obscurcira vos pensées qui conserveront leur teint assombri même après plusieurs machines. En réalité, tous ces éléments mis bout-à-bout aboutissent à la mise en perspective de 2 concepts simples qui se dégagent à l'écoute de cet Exercises In Futility et qui en font sa force. La musique qui le compose consiste en fait en un savant mélange de parties mid-tempo géniales et de parties brutales intenses avec des introductions brillamment exécutées. En plus de cela, on peut noter de petites nouveautés pour le groupe notamment sur les 2 derniers titres: la partie calme et le clavier final de V, titre incontestablement le plus opaque du recueil avec ce refrain qui vous maintient la tête sous l'eau suivi par un excellent effet de contraste de VI, morceau quant à lui peut-être le plus lumineux de toute la carrière de Mgła avec cette intro et ces chœurs très inhabituels, même si ses dernières lignes de texte ne prêtent pas forcément à l'optimisme et relèvent plutôt du vain et du nihiliste: "As if all this was something more - Than another footnote on a postcard from nowhere - Another chapter in the handbook for exercises in futility." L'orage revient, implacable. Et il n'est pas prêt de partir. Oeuvre majeure de 2015.

jeudi 30 mars 2017

Electric Wizard - Come My Fanatics...

    1997 > Stoner/Doom metal


Le soleil est noir. Le ciel est rouge feu, comme s'il était en train de littéralement s'embraser, alimenté par des millions de supernovae implosant en groupe par dizaines en une lumière qui vous rendrait aveugle en quelques secondes. A moins que ces scintillements qui irradient ce dôme infernal ne soient que de belliqueux envahisseurs venus des confins de leur lointain univers à bord de leurs petits vaisseaux trapézoïdaux coloniser cette petite lune située entre Jupiter et Saturne et anéantir toute résistance et par extension toute forme de vie à l'aide de leurs désintégrateurs dont ils vous feront une présentation technologique sommaire et prétentieuse, histoire de bien vous faire comprendre leur supériorité, avant de vous réduire en poussière et d'imposer leur régime de terreur.
Apparemment bien loin de ces préoccupations, gardant un livre entre ses mains, se tenant au coeur d'un paysage désolé que l'on serait tenté de croire post-apocalyptique, le prédicateur, pâle, les yeux tantôt clos tantôt ouverts et rougis d'un brasier intérieur, garde le silence. Autour de lui, également muets, la tête penchée en avant et le dos légèrement voûté, comme anéantis par une torpeur qui écrase toute leur volonté et résistance, les disciples, parqués en une ligne qui s'étend à perte de vue, cherchent, le visage escamoté sous leurs capuches, d'un regard furtif à obtenir ne serait-ce qu'une seconde l'attention du maître. Devant eux, un feu crépite lentement. Le ciel brille de plus en plus fort.
Un des hommes s'avance soudain et dépose une bouteille sur le sol. En réponse à cette action et sans même ouvrir un oeil, le prédicateur, ne tenant plus son livre que d'une main, lève doucement son bras libéré à mi-hauteur puis la paume tournée vers le haut, ouvre sa main. Un étrange manège se met alors immédiatement en place. Les disciples, comme réveillés par ce geste, se réunissent autour du feu, tournant autour de celui-ci dans un sens puis dans l'autre jusqu'à s'arrêter d'un coup puis demeurer impassibles et interdits devant le spectacle des flammes qui crépitent, montant et descendant au fil des vents. Le prédicateur reprend son livre à deux mains. Les adeptes hissent alors leur bras gauche jusqu'à l'amener directement et presque tranquillement au cœur du brasier. Comme en transe, insensibles à la douleur, pas un ne bronche. Pas même un petit cri ne sort de leurs bouches que l'on croirait cousues, pas même un rictus de pur réflexe ne vient troubler leurs visages blancs et inexpressifs, presque paisibles. Sur le visage du maître, des gouttes de sang perlent doucement de ses yeux, devenus entièrement incolores, le long de ses joues, avant de s'écraser lourdement sur le sol, dans un silence assourdissant mais qui commence à être troublé par un lointain et ésotérique parasite qui ressemble à un espèce de bourdonnement. A l'horizon, le ciel est comme en fusion. Les lèvres du prédicateur semblent vouloir articuler quelque chose. 352437. Il le répète 3 fois. Le bourdonnement devient insupportable.
Le prédicateur se dirige alors vers la falaise qui se trouve dans son dos, à quelques mètres de lui. D'un pas assuré, il se poste devant le vide s'arrêtant seulement quelques centimètres devant le gouffre béant, écartant ses bras jusqu'à ce que ceux-ci se retrouvent parallèles au sol. La terreur se matérialise enfin. Des milliers de mouches tout droit venues des 10 plaies d'Egypte se pressent autour du prédicateur dans un vacarme presque surnaturel, le lacérant, l'éventrant, le faisant disparaître sous un épais manteau noir. La nausée devient obligatoire et inévitable. Ce n'est même pas une fin de monde. Bien trop simple. Bien trop réducteur. Désolation. Abomination. Abomination de la désolation. Le prédicateur se nomme Daniel.

Frank Zappa - Hot Rats

    1969 > Jazz/Rock/Élégie


Il me semble me souvenir d'une anecdote que j'avais lue dans un magazine - à moins que ce ne soit le fruit de mon imagination - concernant l'absence de paroles, du moins de la part de Frank Zappa lui-même, sur Hot Rats, qu'il expliquait par le fait qu'il était agacé d'être seulement considéré comme un chanteur satirique et qu'il voulait montrer qu'il existait artistiquement pas seulement via cet aspect. En regardant la pochette, on pouvait d'ailleurs raisonnablement s'y attendre. Bizarroïde au possible et avec des nuances de rose - nous sommes en 1969, année encore psychédélique - la dame qui y figure n'a pas de bouche; du moins ne la distingue-t'on pas. S'il fut un flop aux Etats-Unis à sa sortie - ce que Zappa accueillera avec philosophie et son ironie naturelle et habituelle en déclarant: "Mais aussi quelle idée ! Un album 100% instru, sauf un seul titre - mais chanté par Captain Beefheart, qui est tout sauf chanteur... Pourquoi faire perdre son précieux temps à l'Amerique avec ça, pauvre trouduc'..." - Hot Rats a cependant parfaitement rempli la tâche qui lui incombait: consacrer le talent guitaristique, de compositeur, d'arrangeur et de producteur de Zappa, qui signe de son nom seul ce disque et ne conserve que Ian Underwood des Mothers Of Invention en homme à tout bien faire (piano, orgue, flûte, clarinette, saxophone), statuant ainsi leur mise en sommeil temporaire. Un album qui transpire la musique, une musique aussi riche et généreuse que le Bitches Brew de Miles Davis dont il partage l'année et l'orientation jazz fusion, une approche alors toute récente pour Zappa, une musique qui semble se renouveler à chaque nouvelle écoute. Cette orientation jazz est évidente sur les deux moments clés du disque. Tout d'abord sur le pièce de résistance de la seconde face: le très free Gumbo Variations - dont deux versions cohabitent, sur la réédition vinyle récente, on retrouve la version mix de 1969 qui comprend 5 minutes de moins que la version cd - expose 2 solos successifs faramineux: de saxophone tout d'abord sur lequel Underwood s'en donne à cœur joie puis Sugar Cane Harris prend le relais avec son violon électrique pour un solo absolument dantesque renvoyant André Rieu et autre ringards aux oubliettes, tout cela avec bien évidemment Zappa tissant de sa guitare une toile d'araignée solide en fond. S'il est -de manière tout à fait relative - discret sur ce titre, il se montre bien plus loquace sur Willie The Pimp, 2ème moment fort, qui est construit comme un vieux standard jazz: exposition du thème avec le renfort de Jean-Luc Ponty au violon, solo stratosphérique de Zappa faisant suite aux éructations de l'ami Captain Beefheart signant les seuls vocaux de l'album avec jeu sur les sonorités et déclinaisons du titre Hot Rats (Hot Meat, Hot Rats, Hot Cats, Hot Ritz, Hot Roots, Hot Soots) puis réexposition du thème pour clôture. Les autres titres, qu'ils soient mystiques et inquiétants (Little Umbrellas, It Must Be A Camel) ou simplement majestueux et oniriques (Peaches En Regalia, Son Of Mr Green Genes) complètent cet album qui a tout de l'élégie, une source intarissable d'émotion pure et sans aucun doute le chef d'oeuvre le plus intégral et complet de Zappa.