jeudi 30 mars 2017

Electric Wizard - Come My Fanatics...

    1997 > Stoner/Doom metal


Le soleil est noir. Le ciel est rouge feu, comme s'il était en train de littéralement s'embraser, alimenté par des millions de supernovae implosant en groupe par dizaines en une lumière qui vous rendrait aveugle en quelques secondes. A moins que ces scintillements qui irradient ce dôme infernal ne soient que de belliqueux envahisseurs venus des confins de leur lointain univers à bord de leurs petits vaisseaux trapézoïdaux coloniser cette petite lune située entre Jupiter et Saturne et anéantir toute résistance et par extension toute forme de vie à l'aide de leurs désintégrateurs dont ils vous feront une présentation technologique sommaire et prétentieuse, histoire de bien vous faire comprendre leur supériorité, avant de vous réduire en poussière et d'imposer leur régime de terreur.
Apparemment bien loin de ces préoccupations, gardant un livre entre ses mains, se tenant au coeur d'un paysage désolé que l'on serait tenté de croire post-apocalyptique, le prédicateur, pâle, les yeux tantôt clos tantôt ouverts et rougis d'un brasier intérieur, garde le silence. Autour de lui, également muets, la tête penchée en avant et le dos légèrement voûté, comme anéantis par une torpeur qui écrase toute leur volonté et résistance, les disciples, parqués en une ligne qui s'étend à perte de vue, cherchent, le visage escamoté sous leurs capuches, d'un regard furtif à obtenir ne serait-ce qu'une seconde l'attention du maître. Devant eux, un feu crépite lentement. Le ciel brille de plus en plus fort.
Un des hommes s'avance soudain et dépose une bouteille sur le sol. En réponse à cette action et sans même ouvrir un oeil, le prédicateur, ne tenant plus son livre que d'une main, lève doucement son bras libéré à mi-hauteur puis la paume tournée vers le haut, ouvre sa main. Un étrange manège se met alors immédiatement en place. Les disciples, comme réveillés par ce geste, se réunissent autour du feu, tournant autour de celui-ci dans un sens puis dans l'autre jusqu'à s'arrêter d'un coup puis demeurer impassibles et interdits devant le spectacle des flammes qui crépitent, montant et descendant au fil des vents. Le prédicateur reprend son livre à deux mains. Les adeptes hissent alors leur bras gauche jusqu'à l'amener directement et presque tranquillement au cœur du brasier. Comme en transe, insensibles à la douleur, pas un ne bronche. Pas même un petit cri ne sort de leurs bouches que l'on croirait cousues, pas même un rictus de pur réflexe ne vient troubler leurs visages blancs et inexpressifs, presque paisibles. Sur le visage du maître, des gouttes de sang perlent doucement de ses yeux, devenus entièrement incolores, le long de ses joues, avant de s'écraser lourdement sur le sol, dans un silence assourdissant mais qui commence à être troublé par un lointain et ésotérique parasite qui ressemble à un espèce de bourdonnement. A l'horizon, le ciel est comme en fusion. Les lèvres du prédicateur semblent vouloir articuler quelque chose. 352437. Il le répète 3 fois. Le bourdonnement devient insupportable.
Le prédicateur se dirige alors vers la falaise qui se trouve dans son dos, à quelques mètres de lui. D'un pas assuré, il se poste devant le vide s'arrêtant seulement quelques centimètres devant le gouffre béant, écartant ses bras jusqu'à ce que ceux-ci se retrouvent parallèles au sol. La terreur se matérialise enfin. Des milliers de mouches tout droit venues des 10 plaies d'Egypte se pressent autour du prédicateur dans un vacarme presque surnaturel, le lacérant, l'éventrant, le faisant disparaître sous un épais manteau noir. La nausée devient obligatoire et inévitable. Ce n'est même pas une fin de monde. Bien trop simple. Bien trop réducteur. Désolation. Abomination. Abomination de la désolation. Le prédicateur se nomme Daniel.

Frank Zappa - Hot Rats

    1969 > Jazz/Rock/Élégie


Il me semble me souvenir d'une anecdote que j'avais lue dans un magazine - à moins que ce ne soit le fruit de mon imagination - concernant l'absence de paroles, du moins de la part de Frank Zappa lui-même, sur Hot Rats, qu'il expliquait par le fait qu'il était agacé d'être seulement considéré comme un chanteur satirique et qu'il voulait montrer qu'il existait artistiquement pas seulement via cet aspect. En regardant la pochette, on pouvait d'ailleurs raisonnablement s'y attendre. Bizarroïde au possible et avec des nuances de rose - nous sommes en 1969, année encore psychédélique - la dame qui y figure n'a pas de bouche; du moins ne la distingue-t'on pas. S'il fut un flop aux Etats-Unis à sa sortie - ce que Zappa accueillera avec philosophie et son ironie naturelle et habituelle en déclarant: "Mais aussi quelle idée ! Un album 100% instru, sauf un seul titre - mais chanté par Captain Beefheart, qui est tout sauf chanteur... Pourquoi faire perdre son précieux temps à l'Amerique avec ça, pauvre trouduc'..." - Hot Rats a cependant parfaitement rempli la tâche qui lui incombait: consacrer le talent guitaristique, de compositeur, d'arrangeur et de producteur de Zappa, qui signe de son nom seul ce disque et ne conserve que Ian Underwood des Mothers Of Invention en homme à tout bien faire (piano, orgue, flûte, clarinette, saxophone), statuant ainsi leur mise en sommeil temporaire. Un album qui transpire la musique, une musique aussi riche et généreuse que le Bitches Brew de Miles Davis dont il partage l'année et l'orientation jazz fusion, une approche alors toute récente pour Zappa, une musique qui semble se renouveler à chaque nouvelle écoute. Cette orientation jazz est évidente sur les deux moments clés du disque. Tout d'abord sur le pièce de résistance de la seconde face: le très free Gumbo Variations - dont deux versions cohabitent, sur la réédition vinyle récente, on retrouve la version mix de 1969 qui comprend 5 minutes de moins que la version cd - expose 2 solos successifs faramineux: de saxophone tout d'abord sur lequel Underwood s'en donne à cœur joie puis Sugar Cane Harris prend le relais avec son violon électrique pour un solo absolument dantesque renvoyant André Rieu et autre ringards aux oubliettes, tout cela avec bien évidemment Zappa tissant de sa guitare une toile d'araignée solide en fond. S'il est -de manière tout à fait relative - discret sur ce titre, il se montre bien plus loquace sur Willie The Pimp, 2ème moment fort, qui est construit comme un vieux standard jazz: exposition du thème avec le renfort de Jean-Luc Ponty au violon, solo stratosphérique de Zappa faisant suite aux éructations de l'ami Captain Beefheart signant les seuls vocaux de l'album avec jeu sur les sonorités et déclinaisons du titre Hot Rats (Hot Meat, Hot Rats, Hot Cats, Hot Ritz, Hot Roots, Hot Soots) puis réexposition du thème pour clôture. Les autres titres, qu'ils soient mystiques et inquiétants (Little Umbrellas, It Must Be A Camel) ou simplement majestueux et oniriques (Peaches En Regalia, Son Of Mr Green Genes) complètent cet album qui a tout de l'élégie, une source intarissable d'émotion pure et sans aucun doute le chef d'oeuvre le plus intégral et complet de Zappa.