Le voici donc ce fameux
album de la déliquescence annoncée. L’obsolescence programmée
des Doors était donc de 4 ans. Des Doors ou de Jim Morrison au sein
du groupe, un Jim Morrison encastré dans un coin de la pochette de
ce L.A. Woman, 5° et ultime album du groupe, méconnaissable, barbu
et gras, bouffi même par toutes ces beuveries qui sont devenues son
lot quotidien et qui n'a plus rien à voir avec le dandy érotique
qui posait fièrement sur le premier album de 1967. Musicalement, les
choses ont bien changé également. Avec leur 4° opus Morrison
Hotel, les Californiens s'étaient recentrés sur l'essentiel en
proposant un album cohérent et maîtrisé qui officialisait le
retour d'une bonne base blues et clouait ainsi le bec à tous ceux
qui pensaient le groupe fini après s'être englué dans le
synthétique et le sirupeux au sein de Soft Parade. L.A. Woman
poursuivait dans ce sillage. Certes, le blues a toujours été là,
même sous-jacent, dès les premiers instants du groupe – on se
souvient de Back Door Man sur The Doors – mais il n'a jamais
autant imprégné un album jusqu'à présent. Le psychédélisme des
débuts et avec lui l'orgue résistent (Hyacinth House, la
classieuse ouverture funky'n'rool The Changeling, le
terrifiant L'America proche dans l'esprit de Saucerful Of
Secrets de Pink Floyd) mais s'effacent au profit du quartette
guitare/basse/batterie/voix, roi de Been Down So Long, Cars
Hiss By My Window ou Crawling King Snake – un vrai
bassiste est d'ailleurs engagé pour le disque, de même qu'un
guitariste rythmique, alors que Ray Manzarek avait l’habitude
d'assurer les parties de basse de son orgue. 3 titres ouvertement
blues, fruits de la toute dernière session d'enregistrement pour les
2 derniers – session baptisée le « Blues Day » par Jim
Morrison. Un enregistrement d'ailleurs assumé sans Paul Rothchild,
l'ingénieur du son historique du groupe depuis ses débuts, ce qui
explique ce son cru et live avec très peu d'overdubs que l'on
observe. La voix de Morrison y apparaît rauque et caverneuse,
presque en retrait parfois, surtout sur la première face, la seconde
de son côté – notamment par l'intermédiaire de Hyacinth House
et L'America - redéploie provisoirement la flamboyance et
l'aspect pop que revêtaient les interprétations de Jim dans le
passé. Les musiciens gardent un très bon souvenir de cet
enregistrement, le guitariste Robby Krieger affirmant :
« Rothchild était parti, ce qui est une des raisons pour
lesquelles nous nous sommes tant amusés. Le gardien était parti ».
Album de la déliquescence alors, vraiment ? Malheureusement
oui, car pendant que celui-ci sort, Morrison quitte les Doors et les
Etats-Unis où les flics l'ont dans le collimateur, pour rejoindre
Paris, la terre d'accueil d'un de ses héros Ernest Hewingway. Et
lorsque L.A. Woman sera porté au firmament des charts en même temps
que le single Riders On The Storm, Morrison de son côté
s'endormira définitivement au cœur d'une nuit parisienne, dans des
conditions étranges, entre ultime cuite et surdose d'héroïne,
excitant ainsi les fantasmes les plus fous comme celui d'une fuite
savamment programmée et exécutée. Certains affirmeront ensuite
l'avoir aperçu, anonyme, en Turquie, peut-être marchant côte-à-côte
de Hendrix, Presley et Barrett, qui sait ? Ce sera également le
début d'une longue bataille juridique, notamment entre les membres
restants du groupe scindés en 2 camps, Krieger et Manzarek d'un
côté, Densmore de l'autre – une bataille logique lorsqu'il y a du
pognon en jeu – pour ou contre la reformation et l'emploi du nom
The Doors pour des disques ou tournées ou encore l'utilisation du
répertoire dans le cadre publicitaire. Le début aussi d'une longue
série d'émission télé de merde présentées par C. Hondelatte,
entre 2 disques pourris enregistrés, qui mène des investigations
sur les circonstances de la mort de Jim près de 40 ans après, alors
que tout ou presque a déjà été dit sur le sujet et que les
protagonistes à interroger commencent à se faire rares, quand bien
même se souviendraient-ils de quelque chose... Nous, ce qu'on se
demande, c'est comment auraient évolué les Doors dans les 80's,
comment ils auraient négocié le virage punk ou house, s'il auraient
collaboré avec Miles Davis ou Herbie Hancock ou simplement splitté
en 1972... Et entre 2 utopies d'occase, plutôt qu'interroger le fils
du commissaire chargé de l'enquête à l'époque, parlez-nous de la
magnifique ballade Love Her Madly, de The Wasp où Jim
joue au Tupac Shakur, de la superbe équipée sauvage et jazzy –
épitaphe de Morrison – Riders On The Storm, avec son piano
éléctrique et son doublage des voix par du souffle – le titre que
l'histoire a retenu, avec Light My Fire, peut-être par son
aspect prophétique mais qui musicalement n'est finalement que peu
représentatif du groupe – ou encore de l'histoire de Mr Mojo
Rising, qui traverse Los Angeles à toute vitesse en moto à la
recherche de sa L.A. Woman.
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