1979 > Ambient/Progressif/Expérimental/Avant-rock
La fin des années 70 a été décisive
en Angleterre musicalement parlant. Ah quels veinards, ces sacrés
British ! 20 ans après la tornade mod et l'avènement d'une
génération d'exception (Who, Beatles, Stones, Pink Floyd), voilà
t'y pas que les cités anglaises connaissent un nouveau
bouillonnement inédit. Ce bouillonnement qui trouve d'ailleurs son
origine dans cette génération précédente que ces jeunes loups
surnomment maintenant dinosaures et veulent dissimuler sous le tapis,
notamment les groupes de rock dit progressif alors perçus comme
snobs et pour la plupart sur le déclin – sauf peut-être Pink
Floyd qui sort un de ses chefs-d’œuvre Animals en 1977, pile poil
l'année de breakthrough classique du punk première vague avec les
premiers albums des Clash, Sex Pistols et des Ramones de l'autre côté
de l'Atlantique – comme Yes, devenu une caricature de lui-même et
qui ne tardera pas à commettre l'irréparable avec Big Generator ou
Genesis qui, réduit à un trio, arrivera parfaitement à négocier
le virage 80's commercialement parlant en convertissant sa musique à
une pop progressive qui atteindra son apogée sur Invisible Touch.
Mais réduire cette fin de décennie au seul mouvement punk serait
quelque peu réducteur bien que cela soit celui-là même qui ait
catalysé l'émergence d'autres genres. Le post-punk, terme né de la
plume d'un chroniqueur lors de l'écoute du premier disque de
Magazine, la nouvelle créature d'Howard Devoto, éphémère membre
fondateur des Buzzcocks, un des premiers combos punk de l'Angleterre,
est un mouvement Mancunien de tradition et a engendré un nombre
incalculable de groupes et d'albums parmi les meilleurs de la
décennie. Au sein de ceux-ci, certains prennent un malin plaisir à
refroidir l'atmosphère comme Closer de Joy Division ou Pornography
des Cure, parfaits représentants de la cold wave. La radicalisation
– souvent politique d'ailleurs – de l'approche punk ou sa poussée
à l'extrême ont produit respectivement l'anarcho-punk (Crass, Flux
Of Pink Indians) et le hardcore (Conflict, Charged GBH). Et puis
enfin, il y a ceux qui se sont retrouvés là un peu par hasard, à
contre-courant ou simplement totalement inclassables. Dans le premier
cas, Dire Straits et son rock bluesy de facture assez classique a
toujours eu mon profond respect pour avoir sorti un truc comme
Sultans Of Swing la même année que le très tranchant second
Clash. Et dans le second cas, l'affaire This Heat qui mériterait une
étude complète voire une thèse. Formé en 1976 par Charles Bullen,
Charles Hayward et Gareth Williams, l'entité This Heat de par sa
démarche et la musique qu'il produira ne se situera jamais
clairement dans l'un des courants alors en vogue à savoir « Je
suis un vieux dinosaure du prog » ou « Je pisse sur les
vieux dinosaures du prog ». Son premier disque, sobrement
éponyme et qui sera également son avant-dernier en studio, sorti en
1979 après un enregistrement pour le moins long et fastidieux –
près de 2 ans entre 1976 et 1978 – confirme ce constat initial.
Pochette bleue énigmatique, anonyme, si ce n'est le nom du groupe
écrit en haut à droite en lettres jaunes, le premier This Heat est
un disque extrêmement abrupt et hostile. La seule constante tout au
long de cette suite de 11 titres à la forte identité est leur
aspect malsain et très peu amène, on pense parfois à une maison
hantée dont les objets bougeraient tout seuls. Testcard –
anglicisme désignant le signal de test de la télévision, lorsque
la transmission est active mais qu'il n'y a pas de programme, mais
oui vous savez, le machin de toutes les couleurs que l'on voit des
fois sur notre poste – est une ouverture courte et bruitiste puis
Horizontal Hold déboule sans crier gare armé de sa brutalité
sèche et industrielle et de ses parties de guitare grinçantes. Not
Waving, premier titre avec paroles, est une putain de messe drone
planante qui rappelle les plus belles fulgurances de King Crimson et
est peut-être la piste la plus décisive de l'album. Water,
pièce pour percussions noisy et sans pitié, contraste nettement
avec son successeur Twilight Furniture, plus ambient mais
aussi bien rythmé avec ses roulements de batterie. 24 Track Loop,
construit comme son nom l'indique via des boucles sur bandes
magnétiques, est un morceau d'électro métallique extrêmement
avant-gardiste qui nous fait nous demander si ce n'est pas Autechre –
assiste-t-on en direct à l'invention de l'Intelligent Dance Music ?
- ou Kraftwerk que l'on écoute. La fin du disque nous propose un
triptyque sous forme de crescendo ahurissant. Rainforest est
un aller simple de 3 minutes au cœur d'une fonderie ou d'une usine
de métallurgie quelconque. Puis Fall Of Saigon enchaîne avec
une séance de spiritisme ou de magie noire donnée au fin fond d'une
forêt entourée d'un cercle de feu dont l'exigeant solo de guitare
électrique devient peu à peu chaotique et dantesque jusqu'à
s'abîmer dans un océan de bruit et dans la reprise de la première
piste Testcard, qui n'est rien d'autre qu'un ultime défi
lancé à l'auditeur : sera-t-il capable de résister à ces 4
minutes – infinies pour la nouvelle réédition vinyle, ces petits
malins ayant placé sur la face B un sillon sans fin, ce qui fait que
vous pourriez théoriquement passer le reste de votre vie à remettre
en cause mon affirmation et ainsi démontrer par A+B que la poule est
arrivée avant l’œuf à moins que ce soit l'inverse – qui ont un
goût de définitif et d'infini ? En cela, This Heat n'était
peut-être pas punk, visuellement, musicalement et politiquement
parlant – du moins à cette époque précise pour les 2 derniers
points, les choses changeront radicalement par la suite – mais ils
en possédaient l'esthétique. Car en sortant ce premier disque,
considéré par les spécialistes comme leur album ambient, mais que
je considère personnellement comme leur album progressif, c'est un
majeur bien vicieux et vivace qu'ils tendent à tous ceux qui
aimeraient étiqueter le groupe et sa musique. Il s'agit également
d'un message ou plutôt d'une invitation au concours de bite à
destination des progueux et des punks, de la part d'un des seuls
groupes qui pouvait prétendre les faire asseoir à la même table.
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