vendredi 28 décembre 2018

The Doors - L.A. Woman

 1971 > Blues/Rock/Psychédélique/Last ride on the storm


Le voici donc ce fameux album de la déliquescence annoncée. L’obsolescence programmée des Doors était donc de 4 ans. Des Doors ou de Jim Morrison au sein du groupe, un Jim Morrison encastré dans un coin de la pochette de ce L.A. Woman, 5° et ultime album du groupe, méconnaissable, barbu et gras, bouffi même par toutes ces beuveries qui sont devenues son lot quotidien et qui n'a plus rien à voir avec le dandy érotique qui posait fièrement sur le premier album de 1967. Musicalement, les choses ont bien changé également. Avec leur 4° opus Morrison Hotel, les Californiens s'étaient recentrés sur l'essentiel en proposant un album cohérent et maîtrisé qui officialisait le retour d'une bonne base blues et clouait ainsi le bec à tous ceux qui pensaient le groupe fini après s'être englué dans le synthétique et le sirupeux au sein de Soft Parade. L.A. Woman poursuivait dans ce sillage. Certes, le blues a toujours été là, même sous-jacent, dès les premiers instants du groupe – on se souvient de Back Door Man sur The Doors – mais il n'a jamais autant imprégné un album jusqu'à présent. Le psychédélisme des débuts et avec lui l'orgue résistent (Hyacinth House, la classieuse ouverture funky'n'rool The Changeling, le terrifiant L'America proche dans l'esprit de Saucerful Of Secrets de Pink Floyd) mais s'effacent au profit du quartette guitare/basse/batterie/voix, roi de Been Down So Long, Cars Hiss By My Window ou Crawling King Snake – un vrai bassiste est d'ailleurs engagé pour le disque, de même qu'un guitariste rythmique, alors que Ray Manzarek avait l’habitude d'assurer les parties de basse de son orgue. 3 titres ouvertement blues, fruits de la toute dernière session d'enregistrement pour les 2 derniers – session baptisée le « Blues Day » par Jim Morrison. Un enregistrement d'ailleurs assumé sans Paul Rothchild, l'ingénieur du son historique du groupe depuis ses débuts, ce qui explique ce son cru et live avec très peu d'overdubs que l'on observe. La voix de Morrison y apparaît rauque et caverneuse, presque en retrait parfois, surtout sur la première face, la seconde de son côté – notamment par l'intermédiaire de Hyacinth House et L'America - redéploie provisoirement la flamboyance et l'aspect pop que revêtaient les interprétations de Jim dans le passé. Les musiciens gardent un très bon souvenir de cet enregistrement, le guitariste Robby Krieger affirmant : « Rothchild était parti, ce qui est une des raisons pour lesquelles nous nous sommes tant amusés. Le gardien était parti ». Album de la déliquescence alors, vraiment ? Malheureusement oui, car pendant que celui-ci sort, Morrison quitte les Doors et les Etats-Unis où les flics l'ont dans le collimateur, pour rejoindre Paris, la terre d'accueil d'un de ses héros Ernest Hewingway. Et lorsque L.A. Woman sera porté au firmament des charts en même temps que le single Riders On The Storm, Morrison de son côté s'endormira définitivement au cœur d'une nuit parisienne, dans des conditions étranges, entre ultime cuite et surdose d'héroïne, excitant ainsi les fantasmes les plus fous comme celui d'une fuite savamment programmée et exécutée. Certains affirmeront ensuite l'avoir aperçu, anonyme, en Turquie, peut-être marchant côte-à-côte de Hendrix, Presley et Barrett, qui sait ? Ce sera également le début d'une longue bataille juridique, notamment entre les membres restants du groupe scindés en 2 camps, Krieger et Manzarek d'un côté, Densmore de l'autre – une bataille logique lorsqu'il y a du pognon en jeu – pour ou contre la reformation et l'emploi du nom The Doors pour des disques ou tournées ou encore l'utilisation du répertoire dans le cadre publicitaire. Le début aussi d'une longue série d'émission télé de merde présentées par C. Hondelatte, entre 2 disques pourris enregistrés, qui mène des investigations sur les circonstances de la mort de Jim près de 40 ans après, alors que tout ou presque a déjà été dit sur le sujet et que les protagonistes à interroger commencent à se faire rares, quand bien même se souviendraient-ils de quelque chose... Nous, ce qu'on se demande, c'est comment auraient évolué les Doors dans les 80's, comment ils auraient négocié le virage punk ou house, s'il auraient collaboré avec Miles Davis ou Herbie Hancock ou simplement splitté en 1972... Et entre 2 utopies d'occase, plutôt qu'interroger le fils du commissaire chargé de l'enquête à l'époque, parlez-nous de la magnifique ballade Love Her Madly, de The Wasp où Jim joue au Tupac Shakur, de la superbe équipée sauvage et jazzy – épitaphe de Morrison – Riders On The Storm, avec son piano éléctrique et son doublage des voix par du souffle – le titre que l'histoire a retenu, avec Light My Fire, peut-être par son aspect prophétique mais qui musicalement n'est finalement que peu représentatif du groupe – ou encore de l'histoire de Mr Mojo Rising, qui traverse Los Angeles à toute vitesse en moto à la recherche de sa L.A. Woman

dimanche 21 janvier 2018

This Heat - S/T

  1979 > Ambient/Progressif/Expérimental/Avant-rock


La fin des années 70 a été décisive en Angleterre musicalement parlant. Ah quels veinards, ces sacrés British ! 20 ans après la tornade mod et l'avènement d'une génération d'exception (Who, Beatles, Stones, Pink Floyd), voilà t'y pas que les cités anglaises connaissent un nouveau bouillonnement inédit. Ce bouillonnement qui trouve d'ailleurs son origine dans cette génération précédente que ces jeunes loups surnomment maintenant dinosaures et veulent dissimuler sous le tapis, notamment les groupes de rock dit progressif alors perçus comme snobs et pour la plupart sur le déclin – sauf peut-être Pink Floyd qui sort un de ses chefs-d’œuvre Animals en 1977, pile poil l'année de breakthrough classique du punk première vague avec les premiers albums des Clash, Sex Pistols et des Ramones de l'autre côté de l'Atlantique – comme Yes, devenu une caricature de lui-même et qui ne tardera pas à commettre l'irréparable avec Big Generator ou Genesis qui, réduit à un trio, arrivera parfaitement à négocier le virage 80's commercialement parlant en convertissant sa musique à une pop progressive qui atteindra son apogée sur Invisible Touch. Mais réduire cette fin de décennie au seul mouvement punk serait quelque peu réducteur bien que cela soit celui-là même qui ait catalysé l'émergence d'autres genres. Le post-punk, terme né de la plume d'un chroniqueur lors de l'écoute du premier disque de Magazine, la nouvelle créature d'Howard Devoto, éphémère membre fondateur des Buzzcocks, un des premiers combos punk de l'Angleterre, est un mouvement Mancunien de tradition et a engendré un nombre incalculable de groupes et d'albums parmi les meilleurs de la décennie. Au sein de ceux-ci, certains prennent un malin plaisir à refroidir l'atmosphère comme Closer de Joy Division ou Pornography des Cure, parfaits représentants de la cold wave. La radicalisation – souvent politique d'ailleurs – de l'approche punk ou sa poussée à l'extrême ont produit respectivement l'anarcho-punk (Crass, Flux Of Pink Indians) et le hardcore (Conflict, Charged GBH). Et puis enfin, il y a ceux qui se sont retrouvés là un peu par hasard, à contre-courant ou simplement totalement inclassables. Dans le premier cas, Dire Straits et son rock bluesy de facture assez classique a toujours eu mon profond respect pour avoir sorti un truc comme Sultans Of Swing la même année que le très tranchant second Clash. Et dans le second cas, l'affaire This Heat qui mériterait une étude complète voire une thèse. Formé en 1976 par Charles Bullen, Charles Hayward et Gareth Williams, l'entité This Heat de par sa démarche et la musique qu'il produira ne se situera jamais clairement dans l'un des courants alors en vogue à savoir « Je suis un vieux dinosaure du prog » ou « Je pisse sur les vieux dinosaures du prog ». Son premier disque, sobrement éponyme et qui sera également son avant-dernier en studio, sorti en 1979 après un enregistrement pour le moins long et fastidieux – près de 2 ans entre 1976 et 1978 – confirme ce constat initial. Pochette bleue énigmatique, anonyme, si ce n'est le nom du groupe écrit en haut à droite en lettres jaunes, le premier This Heat est un disque extrêmement abrupt et hostile. La seule constante tout au long de cette suite de 11 titres à la forte identité est leur aspect malsain et très peu amène, on pense parfois à une maison hantée dont les objets bougeraient tout seuls. Testcard – anglicisme désignant le signal de test de la télévision, lorsque la transmission est active mais qu'il n'y a pas de programme, mais oui vous savez, le machin de toutes les couleurs que l'on voit des fois sur notre poste – est une ouverture courte et bruitiste puis Horizontal Hold déboule sans crier gare armé de sa brutalité sèche et industrielle et de ses parties de guitare grinçantes. Not Waving, premier titre avec paroles, est une putain de messe drone planante qui rappelle les plus belles fulgurances de King Crimson et est peut-être la piste la plus décisive de l'album. Water, pièce pour percussions noisy et sans pitié, contraste nettement avec son successeur Twilight Furniture, plus ambient mais aussi bien rythmé avec ses roulements de batterie. 24 Track Loop, construit comme son nom l'indique via des boucles sur bandes magnétiques, est un morceau d'électro métallique extrêmement avant-gardiste qui nous fait nous demander si ce n'est pas Autechre – assiste-t-on en direct à l'invention de l'Intelligent Dance Music ? - ou Kraftwerk que l'on écoute. La fin du disque nous propose un triptyque sous forme de crescendo ahurissant. Rainforest est un aller simple de 3 minutes au cœur d'une fonderie ou d'une usine de métallurgie quelconque. Puis Fall Of Saigon enchaîne avec une séance de spiritisme ou de magie noire donnée au fin fond d'une forêt entourée d'un cercle de feu dont l'exigeant solo de guitare électrique devient peu à peu chaotique et dantesque jusqu'à s'abîmer dans un océan de bruit et dans la reprise de la première piste Testcard, qui n'est rien d'autre qu'un ultime défi lancé à l'auditeur : sera-t-il capable de résister à ces 4 minutes – infinies pour la nouvelle réédition vinyle, ces petits malins ayant placé sur la face B un sillon sans fin, ce qui fait que vous pourriez théoriquement passer le reste de votre vie à remettre en cause mon affirmation et ainsi démontrer par A+B que la poule est arrivée avant l’œuf à moins que ce soit l'inverse – qui ont un goût de définitif et d'infini ? En cela, This Heat n'était peut-être pas punk, visuellement, musicalement et politiquement parlant – du moins à cette époque précise pour les 2 derniers points, les choses changeront radicalement par la suite – mais ils en possédaient l'esthétique. Car en sortant ce premier disque, considéré par les spécialistes comme leur album ambient, mais que je considère personnellement comme leur album progressif, c'est un majeur bien vicieux et vivace qu'ils tendent à tous ceux qui aimeraient étiqueter le groupe et sa musique. Il s'agit également d'un message ou plutôt d'une invitation au concours de bite à destination des progueux et des punks, de la part d'un des seuls groupes qui pouvait prétendre les faire asseoir à la même table.         

samedi 6 janvier 2018

This Heat

This Heat 1979


Il est toujours intéressant d’imaginer avant l’écoute le contenu d’un album,  notamment avec son nom. Je conviens que ce n’est pas toujours pertinent, mais This Heat est également le nom du groupe. On peut donc légitimement se demander de quelle chaleur il s’agit, d’autant plus le démonstratif semble désigner quelque chose de précis. Je ne sais pas si le réchauffement climatique était déjà une préoccupation en 1979, date de sortie de l’album. Il s’agit peut-être de la chaleur générée par le feu de la guerre. La pochette aux couleurs enfantines détonent néanmoins avec ce constat. Peu importe. Les premières idées ont émergé et on peut maintenant se laisser guider agilement par les titres.
Horizontal hold attaque sans ménagement. Des pauses impromptues viennent interrompre ce chahut dans un changement de fréquence radio et de tonalité. C’est tendu et on sent que ça travaille dur. Puis la fatigue prend le dessus. Petit à petit. Des ondes maléfiques persistent néanmoins à stimuler tout ça. On croit reconnaître un air connu qui est vite interrompu vers 4’ mais pas le temps d’apprécier cette mélodie qui laisse place à la dissonance et au broyage électronique version 2.0. Quelques guitares semblent avoir survécues dans ce monde ultra synthétique, à moins que ce ne soient des systèmes industriels eux-mêmes qui jouent la guitare comme une résurgence des temps passés digérés. Not waving semble être la cause d’une régression temporelle. Les notes sont effleurées dans une inquiétude saisissante. La sensation de ne pas être seul est de plus en plus dérangeante. A travers le couloir sombre tracé par la viole, une voix, quelque peu tiraillée, nous mène de la peur au désespoir. Profitez de cette lueur mélodique, l’une des rares de l’album. Une fumée mystique se répand. Les idées se consument. Les yeux piquent. Le temps s’est manifestement ramolli. Water représente le réveil désagréable au port avec la peur qu’on va nous tomber dessus. On n’y voit rien dans cette brume et on entend taper sec. C’est un défi de spatialisation sonore ! Combien sont-ils ? D’où les coups vont-ils venir ? C’est fini. Twilight furniture produit un rythme où quelques notes de guitare semblent sonner le glas. Une incantation lointaine se fait entendre par instant. Une fois le soleil couché, la tension latente s’atténue, apaisant l’âme qui prie encore à travers des litanies soutenues pour rejoindre une couche temporelle plus décente. C’est chose faite avec 24 Track Loop. On est toutefois peut-être allé trop loin à travers les tuyaux spatiotemporels. Ils sont reconnaissables par la filtration sonore qu'ils produisent sur la ferraille. La sortie trouvée, le son se fait plus métallique voire plus tranchant. C’est assurément le morceau phare du disque avec son rythme endiablé ! Quelques reliquats du passé viennent hacher ce tapis de notes industrielles. Un crescendo, non moins intéressant, vient accentuer la productivité jusqu’à ce que la gourmandise sonore viennent pousser les machines au bord de la rupture. Diet of Worms est justement ce que l’on récolte avec une productivité déraisonnée. Ce pourrait être les cris d’oiseaux affamés. Je ne sais pas trop. L’ambiance pauvre et apocalyptique donne un gout épouvantable à ce morceau. Une faune privée de liberté dans un monde réduit en cendres. On tient peut-être l’échappatoire avec Music like escaping gas. Il ne s’agit en fait que du phénomène maléfique se montrant sans artifice à nous. Une toux (1:38) témoigne de la contamination par ce fléau. Cela souligne également la démarche artistique franche et directe. Il ne reste plus qu’à se calfeutrer dans une fumée d’encens tout en balbutiant quelques incantations dans la douleur. Les éléments naturels se déchaîne avec Rainforest. Je me demande encore comment ces effets de foudre et de terrain pulvérisé ont pu être produits. Cette forêt est certainement l’ultime rempart du mal. Au-delà de celle-ci, The fall of Saigon semble nous dévoiler ce qui pourrait être le Vietnam. Les chants très graves et le rythme lourd et dramatique accompagnent l’ampleur du désastre. Une guitare, jouée comme une folle mouche, vole avec furie sur cette triste épopée qui s’achève en toute humilité. La force n’y est plus. Il ne subsiste plus qu’un signal électronique confiné mais survolté. Espérons qu’en ayant mis la main sur Test Card II, les techniciens reproduisent la terrible erreur commise avec le test « Card I » (ou Crad je ne sais plus à force, c’est la face bleue en tout cas) pour nous offrir un expérimentation au moins aussi intriguante et visionnaire.

mercredi 30 août 2017

Drive Like Jehu - S/T

1991 > Hardcore/Post-hardcore/Emocore/Math rock


Drive Like Jehu ou l'histoire d'un groupe qui n'est pas resté très longtemps dans le circuit mais cependant assez pour laisser dans son sillage et ses 2 albums une épaisse fumée noire et une forte odeur de soufre. Une odeur présente dès les premières notes du titre d'ouverture de leur jet initial, Caress, sorte de Black Flag à la sauce hardcore et à la voix un peu éloignée. Dans ce premier disque, DLJ présente des morceaux purement hardcore et ainsi courts de facto (l'immédiat et imparable tube Spikes To You, Atom Jack) et d'autres (la plupart en fait) plus construits et alambiqués comme O'Pencil Sharp, culminant à 9 minutes et qui se permet d'aller titiller Sonic Youth et autres no-waviens en herbe sur ses début et fin bruitiste, rappelant furieusement Mote ou certaines parties de The Diamond Sea. Ambivalente, la créature de Rick Froberg, excellent aux vocaux entre cris stridents ou chant clair monocorde juvénile - proche en cela des vocalistes de Deep Wound ou des Descendents - distille une musique dense et nerveuse mais également d'une mélodicité remarquable et redoutable (le refrain de Step On Chameleon, par ailleurs peu intéressant à cause de la présence de cette seconde voix agaçante, le bass-driven If It Kills You, quasi-single potentiel si ce n'étaient ses 7 minutes) et traversée d'arabesques guitaristiques comme le solo d'If It Kills You (encore !), le début et la fin de Good Luck In Jail ou le break aux larsens de l'immense Turn It Off
Avec ce premier skeud, Drive Like Jehu s'affirme et rentre d'ores et déjà au panthéon des groupes de post-hardcore les plus doués et incisifs de leur génération et se permet de faire passer Fugazi pour un gentil animal de compagnie. DLJ ou une des incarnations les plus véritables et fidèles du terme abrasif. 

lundi 17 avril 2017

Dälek - Untitled

    2005 > Indus/Experimental hip hop


Cela commence par une pulsation électronique. On se croirait presque transporté en 1968 lorsque Pink Floyd exaltait sa recherche d’ambiance dans Saucerful Of Secrets. Ici tout est affaire d’alternance. D’abstraction. De symétricité. La rue est bel et bien là mais sous une autre forme. On ne la distingue plus derrière tout ce rideau de fumée, derrière ces gravas, derrière toute cette désolation. On doit se réinventer, redéfinir tout ces concepts que l’on croyait innés. Inhérents. « Kept isolated… ». MC Dälek ne s’est pas absenté. Mais il gère ces interventions. Car oui, il y a du hip hop ici aussi mais il n’a jamais été aussi difficile à cerner. Cerné par ce vide, ces nappes de bruit, ces effusions industrielles, ces machines qui ne dorment jamais. Une guitare acoustique fait son apparition. On passe de 1968 à 1994 comme un brutal voyage dans le temps pour se retrouver sur Cluster One, toujours avec le même groupe (Pink Floyd) mais avec des gens différents. « I feel too old. ». Ca fatigue. C’est exigeant. « Have we spend too much time on knees that we forgot how to walk? ». On se trouve très proche du vide – voire du void – mais on se tient à bonne distance pour ne pas se faire aspirer. On est tout en contrôle. A la limite de la désintégration comme ces atomes qui n’ont rien demandé à personne et qui se font exploser la tronche sans raison aucune apparente. « We choose what nightmare to forget, what lies to remember. It's quite easy to forget who you are ». L’oubli. Il est central. MC Dälek se tait. On repart en 1971 cette fois, avec les corbeaux et leur Echos. Le vent se met à souffler, la tempête se lève. Tout se déforme. Souterrain et aérien à la fois. « To being human ». On en doute. Une guitare électrique endosse le rôle de l’orage et du tonnerre. « Kept isolated ». Le couplet revient mais sans être là. Absence. Distorted prose. Ou simplement chuchotée. Une tabla fait son apparition. La recette a déjà été éprouvée, on la rapplique. Juxtaposition de moments calmes et violents, faibles et forts. Une accalmie au piano. Puis une agression à coup de guitare électrique et de batterie pour le moment pour le plus intense qui rappelle presque Sonic Youth. Le rap devient instrument d’épouvante. Le noir et le sombre nous enveloppent. Le thème du début s’en revient. Et ce pour les 12 dernières minutes. Une fin magnifiquement impersonnelle, déstabilisante, maussade. Mais surtout terriblement vide, laissant la part belle à l’imagination et frustrant ceux qui attendent quelque chose au bout de ce couloir. Un quelque chose qui finit par arriver, un banjo qui fait claquer ces cordes dans un ultime moment de vie, et ces dernières lignes de texte comme une apostrophe à Dieu. Un reproche. Un aveu de faiblesse. Une incommunicabilité. Presque une négation pure. « If I believed in you, I would only clasp these hands in an attempt to choke you. Provoked to speak in strict silence. Why mince our words when we both prefer violence ? ». Bien sûr que l’on préfère la violence. Mon silence parle pour moi. Y a de l’Antistar là-dedans. Voire du Testcard. Ici tout est affaire d’ambiance. De violence. Et de silences qui en disent long. 45 minutes sans titre. Mais sûrement pas sans intérêt.

Mgła - Exercises In Futility

2015 > Black metal/Délégation d'émotions


Un mauvais album de Mgła, ça n'existe pas. Du moins pour l'instant. J'en suis sûr à présent. J'avais tout de même quelques réserves quand j'ai envoyé pour la première fois le morceau Exercises In Futility deuxième du nom sur mon téléphone, fin Août, premier titre à filtrer - ou plutôt suppurer - de ce nouvel album, à l'intitulé déjà très évocateur et excitant en soi, au moins autant que le précédent du combo polonais, With Hearts Toward None. Un talent certain pour le choix des titres d'album donc, en même temps qu'un bon goût pour les pochettes. Mettez-les toutes côte-à-côte et vous tenez votre prochaine tapisserie, que votre fils soit gothique ou non. Noires, blanches, avec 50 nuances de gris, la dernière ne dérogeant pas à la règle puisqu'elle nous présente cet homme au corps presque nu - il n'est vêtu que d'un pagne - et décharné, que l'on croirait possédé, cherchant de ses bras crispés la sortie ou la lumière dans cette forêt qui le cerne, que ses yeux ne lui permettent apparemment pas de trouver au vu de sa posture pour le moins étrange. Un peu moins d'aisance dans le choix des singles pour le groupe par contre - un concept toujours un peu empreint d'une certaine ironie dans le petit monde spécial du black metal - puisqu'au final, il s'avère que ce II est le titre qui empêche cet album d'accéder au rang de chef d'oeuvre incontestable et immortel. Une piste qui n'est pas foncièrement mauvaise, son intro étant même assez énorme avec cette superposition de 2 riffs hallucinants accompagnant la première ligne de texte pour le moins classe et annonciatrice: "There is a style in total denial". Mais passé cela, le morceau stagne dans ses acquis, tournant en rond pendant 5 bonnes minutes et ne nous proposant plus grand-chose, jusqu'au retour salvateur du thème d'ouverture encadré par une partie mid-tempo qui constituera la conclusion du morceau. Un morceau qui peine ainsi à convaincre totalement et à se montrer consistant tout au long de ses 8 minutes, chose qui sera pourtant réalisée assez facilement pour les 5 autres titres, et ce via une recette traditionnelle qui a déjà fait ses preuves dans les enregistrements précédents du groupe polonais: une collection de riffs meurtriers à n'en plus savoir qu'en faire - dont on peut assimiler certains à de véritables coups de griffe, à l'image de celui présent sur le L du nom du groupe -, des vocaux excellents et rauques, un batteur qui s'affirme à chaque disque davantage, ne se contentant pas de blaster fébrilement pour blaster, mais affichant une palette plutôt intéressante pour le poste (notamment dans l'utilisation des cymbales), et enfin une ambiance noire et pesante, misanthropique, apocalyptique, qui laminera votre esprit et obscurcira vos pensées qui conserveront leur teint assombri même après plusieurs machines. En réalité, tous ces éléments mis bout-à-bout aboutissent à la mise en perspective de 2 concepts simples qui se dégagent à l'écoute de cet Exercises In Futility et qui en font sa force. La musique qui le compose consiste en fait en un savant mélange de parties mid-tempo géniales et de parties brutales intenses avec des introductions brillamment exécutées. En plus de cela, on peut noter de petites nouveautés pour le groupe notamment sur les 2 derniers titres: la partie calme et le clavier final de V, titre incontestablement le plus opaque du recueil avec ce refrain qui vous maintient la tête sous l'eau suivi par un excellent effet de contraste de VI, morceau quant à lui peut-être le plus lumineux de toute la carrière de Mgła avec cette intro et ces chœurs très inhabituels, même si ses dernières lignes de texte ne prêtent pas forcément à l'optimisme et relèvent plutôt du vain et du nihiliste: "As if all this was something more - Than another footnote on a postcard from nowhere - Another chapter in the handbook for exercises in futility." L'orage revient, implacable. Et il n'est pas prêt de partir. Oeuvre majeure de 2015.

jeudi 30 mars 2017

Electric Wizard - Come My Fanatics...

    1997 > Stoner/Doom metal


Le soleil est noir. Le ciel est rouge feu, comme s'il était en train de littéralement s'embraser, alimenté par des millions de supernovae implosant en groupe par dizaines en une lumière qui vous rendrait aveugle en quelques secondes. A moins que ces scintillements qui irradient ce dôme infernal ne soient que de belliqueux envahisseurs venus des confins de leur lointain univers à bord de leurs petits vaisseaux trapézoïdaux coloniser cette petite lune située entre Jupiter et Saturne et anéantir toute résistance et par extension toute forme de vie à l'aide de leurs désintégrateurs dont ils vous feront une présentation technologique sommaire et prétentieuse, histoire de bien vous faire comprendre leur supériorité, avant de vous réduire en poussière et d'imposer leur régime de terreur.
Apparemment bien loin de ces préoccupations, gardant un livre entre ses mains, se tenant au coeur d'un paysage désolé que l'on serait tenté de croire post-apocalyptique, le prédicateur, pâle, les yeux tantôt clos tantôt ouverts et rougis d'un brasier intérieur, garde le silence. Autour de lui, également muets, la tête penchée en avant et le dos légèrement voûté, comme anéantis par une torpeur qui écrase toute leur volonté et résistance, les disciples, parqués en une ligne qui s'étend à perte de vue, cherchent, le visage escamoté sous leurs capuches, d'un regard furtif à obtenir ne serait-ce qu'une seconde l'attention du maître. Devant eux, un feu crépite lentement. Le ciel brille de plus en plus fort.
Un des hommes s'avance soudain et dépose une bouteille sur le sol. En réponse à cette action et sans même ouvrir un oeil, le prédicateur, ne tenant plus son livre que d'une main, lève doucement son bras libéré à mi-hauteur puis la paume tournée vers le haut, ouvre sa main. Un étrange manège se met alors immédiatement en place. Les disciples, comme réveillés par ce geste, se réunissent autour du feu, tournant autour de celui-ci dans un sens puis dans l'autre jusqu'à s'arrêter d'un coup puis demeurer impassibles et interdits devant le spectacle des flammes qui crépitent, montant et descendant au fil des vents. Le prédicateur reprend son livre à deux mains. Les adeptes hissent alors leur bras gauche jusqu'à l'amener directement et presque tranquillement au cœur du brasier. Comme en transe, insensibles à la douleur, pas un ne bronche. Pas même un petit cri ne sort de leurs bouches que l'on croirait cousues, pas même un rictus de pur réflexe ne vient troubler leurs visages blancs et inexpressifs, presque paisibles. Sur le visage du maître, des gouttes de sang perlent doucement de ses yeux, devenus entièrement incolores, le long de ses joues, avant de s'écraser lourdement sur le sol, dans un silence assourdissant mais qui commence à être troublé par un lointain et ésotérique parasite qui ressemble à un espèce de bourdonnement. A l'horizon, le ciel est comme en fusion. Les lèvres du prédicateur semblent vouloir articuler quelque chose. 352437. Il le répète 3 fois. Le bourdonnement devient insupportable.
Le prédicateur se dirige alors vers la falaise qui se trouve dans son dos, à quelques mètres de lui. D'un pas assuré, il se poste devant le vide s'arrêtant seulement quelques centimètres devant le gouffre béant, écartant ses bras jusqu'à ce que ceux-ci se retrouvent parallèles au sol. La terreur se matérialise enfin. Des milliers de mouches tout droit venues des 10 plaies d'Egypte se pressent autour du prédicateur dans un vacarme presque surnaturel, le lacérant, l'éventrant, le faisant disparaître sous un épais manteau noir. La nausée devient obligatoire et inévitable. Ce n'est même pas une fin de monde. Bien trop simple. Bien trop réducteur. Désolation. Abomination. Abomination de la désolation. Le prédicateur se nomme Daniel.